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Le blog d'Obili

Mongo Beti, ou les conseils à un jeune écrivain

15 Septembre 2011, 18:07pm

 africainssi 

Ouvrage posthume, Africains si vous parliez porte la signature de Mongo Beti. Qu’on ne présente plus. Ou presque, car il est toujours dangereux de présumer de la réputation établie d’un écrivain. La réalité du terrain n’a eu cesse jusqu’à ce jour de nous en convaincre.

En deux mots, rappelons donc que Mongo Beti (1932-2001) reste l’un des écrivains africains les plus sûrs et les prolixes de sa génération.

 

Originaire du Cameroun, Mongo Beti se signale en 1954 avec Ville cruelle[1] (sous le pseudonyme d’Eza Boto, chez Présence Africaine). Dès lors, le jeune écrivain ne s’arrêtera plus. C’est à son amour de l’écriture jamais démenti que nous lui devons Le pauvre Christ de Bomba (1956), Mission terminée (1957, prix Sainte-Beuve), Le Roi miraculé (1958), Perpétue ou l’habitude du malheur (1974), Remember Ruben (1974), La ruine presque cocasse d’un polichinelle (1979), Les deux mères de Guillaume Ismaël Dzewatama futur camionneur (1982), La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama (1984), L’histoire du fou (1994), Trop de soleil tue l’amour (1999), Branle-bas en noir et blanc (2000) en matière de roman.

Car l’homme fut aussi essayiste : Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation[2] (1972), Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort deRuben Um Nyobé (1986), La France contre l’Afrique. Retour au Cameroun (1993) demeurent ses principales productions dans le genre.

Ce sont là merveilleuses et terribles procréations d’un intellectuel à l’idée fixe : dénoncer les abus de tout système oppressif, assassin, avilissant, aliénant, qu’il eut pour dénomination colonialisme, néo-colonialisme, impérialisme, dictature ou autre. Devoir ou mission qui ne va pas sans son corollaire, le rétablissement de la dignité humaine. Celle africaine en particulier, car la plus bafouée, depuis toujours.

Dans cette veine, le natif d’Akometan comprit très tôt la nécessité de se doter d’un porte-voix, d’une caisse de résonance, d’un amplificateur autrement efficace. C’est à quoi sa revue bimestrielle Peuples Noirs-Peuples Africains doit le jour.

Combat multiforme ? Pas précisément. Moyens, instruments de lutte diversifiés, plutôt.

Africains si vous parliez se présente donc comme une œuvre-bilan. Une œuvre-synthèse, une œuvre-arrêt sur image. C’est un recueil de textes, ces articles que Mongo Beti et ses collaborateurs, en tête desquels se placera éternellement sa compagne de toujours Odile Tobner, n’ont eu cesse de produire depuis 1978, date de naissance de la revue. Classés chronologiquement, les articles sélectionnés sont regroupés en six rubriques, qui vont de « Malheur aux peuples sans voix ! » à « L’exil et le retour » en passant par « Les médias et les intellectuels », « Francophonie, piège à cons », « Afrique, pompe à fric », « Dialogues avec le maître blanc ».

                                                      MongoBeti

Articles fort remuants, incisifs, instructifs, dérangeants, captivants à la vérité. Prenons celui-ci par exemple : « Conseils à un jeune écrivain francophone ou les quatre paradoxes de la francophonie ordinaire ». Plus qu’un article, il s’agit en réalité d’un discours que Mongo Beti prononça en avril 1981, à l’Université de Claramount en Californie.

Mais l’essentiel est ailleurs, dans ce que l’auteur nous dit de la destinée de l’écrivain francophone ordinaire. Que nous dit-il alors ?

« En premier lieu, (…) entraîne-toi à ne jamais traiter ce qui te tient le plus à cœur »[3].

Mais pourquoi ? Parce qu’on dénie à tout écrivain africain francophone d’évoquer dans ses œuvres tout ce qui a trait à son environnement mental ou existentiel. « Quel est le sujet qui brûle la plume d’un créateur africain francophone-en l’occurrence d’un romancier ? Eh bien, les drames traversés par son peuple ces dernières années. Drames terrifiants s’il en fut »[4] Or, voici que l’establishment intellectuel occidental et ses sous-fifres africains en charge des questions de production culturelles dressent partout où besoin est et de façon insidieuse des tabous thématiques.

Mais encore ?

« En deuxième lieu, je fis la confidence que voici à mon jeune interlocuteur pétri d’illusions : Ne t’attends point à être fêté, surtout si tu viens de publier »[5]

Car seuls sont au rendez-vous les boycotts des médias, la fuite des éditeurs et la présence discrète ou non des policiers, question de vous intimider. Point d’article dans les revues spécialisées, à moins d’avoir quelques accointances avec les habitués du sérail. Dur métier, indiscutablement.

« En troisième lieu(…) : Attends-toi à être le jeune écrivain africain, quel que soit ton âge.

En effet, les critiques de la francophonie, c’est-à-dire les critiques français, semblent ne pas savoir quoi faire de l’écrivain confirmé. C’est que tout se tient. Un peuple mineur peut-il avoir des écrivains majeurs ? Non, bien sûr. Ce serait une situation contraire à tous les principes du cartésianisme. Or, comme vous le savez, les peuples africains sont à jamais mineurs. »

Ce propos, malheureusement, repose sur une expérience vécue.

« Il y aura bientôt trente ans que je publie. Pourtant quand un média daigne m’envoyer un interviewer (cela arrive parfois quand même, sans garantie d’ailleurs de publication ou de programmation de l’interview ; il n’y a donc aucune contradiction avec ce que je disais en commençant), c’est comme par hasard toujours un très jeune homme, ou une très jeune femme, peu ou même point informés des problèmes de notre littérature. La conversation est si fastidieuse, les questions de mon interviewer si sottes que l’écoeurement ne tarde pas à me saisir. Me voici donc bien vite obligé de déclarer forfait et de renvoyer mon visiteur. » [6]

Enfin : « Attends-toi à mendier ta reconnaissance en tant que créateur auprès de ceux-là mêmes qui sont tes ennemis naturels »[7]

Mais pourquoi donc ?

« Nous sommes en effet toujours à demander aux éditeurs de l’ancien colonisateur de nous publier, à ses bibliothèques de nous inscrire sur ses fichiers, à ses libraires de vendre nos livres, à ses agents d’assurer notre promotion, à ses professeurs d’expliquer nos œuvres jusqu’en Afrique même, et surtout à ses critiques et à ses journaux de nous faire connaître en nous consacrant des articles, des recensions. Quel écrivain africain francophone n’a rêvé d’un article, fût-il un modeste écho, dans le Supplément Littéraire du Monde, le journal français le plus influent aussi bien en France qu’en Afrique ! Personnellement, je préfère me passer de ce privilège, que je tiens pour une faveur extrêmement compromettante ».

Mais encore ?

« Toute communauté qui ne s’est pas dotée d’institutions littéraires qui lui appartiennent en propre, qu’elle soit en mesure de contrôler à l’exclusion de tiers étrangers si bienveillants soient-ils, doit s’attendre à ce que ses écrivains se mettent d’une façon ou d’une autre au service d’organisations mieux pourvues, certes, mais en dernière analyse hostiles. Dans ce domaine-là, comme dans les autres, il n’y a pas de miracle »[8].

A bon écrivain africain francophone entendeur, salut !



[1] 1951 : publication de sa première nouvelle, Sans haine et sans amour, dans la revue Présence Africaine, dirigée par Alioune Diop

[2] A sa sortie, aux éditions François Maspéro, l’ouvrage est interdit par un arrêté du ministre de l’Intérieur français, Raymond Marcellin, sur la demande (suscitée par Jacques Foccart) du gouvernement camerounais.

[3] Beti (M), Africains si vous parliez, Paris, Homnisphères, 2005, p.111

[4] Id., ibid., p.111

[5] Id., ibid., p.113

[6] Id., ibid., p.115

[7] Id., ibid., p.116

[8] Id., ibid., p.116

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