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Le blog d'Obili

LA LUNE N’A PAS TOUJOURS PLEURE

5 Mars 2011, 01:31am

 

Palmier        

 

Les étoiles l'ont jusque-là toujours enviée, et même jalousée. Les murmures chevauchaient les nues et prétendaient que sans cette rondeur, sans sa belle circonférence, ses atours pâliraient sans aucun doute.

 

On chuchote encore qu’une nuit, terre et ciel virent, surpris, une demi-lune comme d’habitude en ronde dans l’espace : fêlée, blessée, mais hiératique comme jamais. Seulement, en fille raisonnée qu’elle est, Lune résolvait certaines nuits de panser ses plaies. Plutôt que sa rondeur lumineuse, l’espace puis le temps rencontrent les ombres et les hommes connaissent même la nuit noire. Ciel et Terre inventent depuis des beautés bien pâles comparées à la lune alors restée chez elle soigner sa santé.

 

On peut craindre que ces faits n'engendrent nostalgie en ceux qui savent vite se troubler de culpabilité ou s’apaiser, aidés de la fatalité. L’inconnu seul réussit à persuader qu’on a manqué ses plaisirs, ses paradis, par la faute des autres. Les hommes n’apprennent pas qu’ils sont maîtres de leur destin. C’est ailleurs là-bas, très loin, aux nues qu’ils cherchent la mère de leurs malheurs. Faut-il donc que cette lune ne leur ait pardonné pour poursuivre ainsi sa bouderie ! Les contenir parmi ces ombres, dans cette nuit qui dure, qui dure !

 

Voici cinquante ans, en Afrique, des Etats s’érigeaient en lieu et place des colonies françaises, anglaises, portugaises.

 

Une manière de mesurer le temps dans l’Afrique ancienne associait son cours au rythme de l’effort personnel. Les Beti, le rameau camerounais du peuple Fang, avaient accompli un cycle quand arrivait la saison sèche, saison des cultures et moissons. Une année avait passé. Ils continuent pour certains, c’est vrai rares aujourd’hui, de consigner l’avancement de leurs jours en Biseb, pluriel de éseb, la saison sèche.

 

La cadence des jours faisait donc que, à cinquante biseb, vous pouviez, sans que cela interroge quelque politique démographique ou sociale, être devenu grand-père ou grand-mère. Ceci et bien d’autres mobiles vous avaient introduit au monde des femmes, des hommes accomplis. On disait de vous que vous étiez Nya mor mvia.

 

Ces temps qui portaient d’autres valeurs, d’autres codes, nous évoquent-ils la lune blessée ( par qui donc, au juste ?) éteignant son phare sur le monde ? Les Afriques des cinquante ans jouent aux armes de mort, attisent les dictatures et ravivent toutes sortes d'autres souffrances. Une seule voie l’attend, selon  certains : l’impasse.

 

Trois, quatre siècles auront  juste suffi à éponger des esprits les prédictions alors déjà trompeuses sur les Afriques. Pour ne pas leur substituer, trop injuste sinon, le moindre avis encourageant.

 

La sagesse fang-beti recommande de toujours se garder de l’avis que les yeux livrent : ils sont si peureux ! Ceci marque la préférence des nomades de la forêt pour l’action. Si vous envisagez, en effet, le défi lancé par la forêt avant de le relever, peu s’en faudra que vous rebroussiez chemin, effrayé.

 

L’impressionnante tâche étalée devant nos regards pourrait beaucoup devoir à ce que  la politique subordonne tout à son contrôle en Afrique jusqu’ici. Et la politique ne recruta pas les fils de l’Afrique les plus sages. Et nombre d’occasions de galvaniser le talent, la compétence, l’exigence s’en sont allées, obscurcies par la bêtise et l’immodestie.

 

Peu de ces errements engage pourtant à prendre la pose dépitée, celle du découragé pour toutes excellentes raisons. Juste est-il de donner encore davantage d’entrain à cette action commandant seule la réflexion généreuse, la réflexion fructueuse.

 

La culture par exemple a très peu été animée en Afrique depuis les indépendances. Entendons par culture l’expression la plus large et la moins sclérosée des  donnés mentaux d’une collectivité. La contagion par les cultures prépondérantes engendre des variations de comportements chez les plus «  fragiles ». Un Africain de trente ans et moins a peu de chances de penser que la seule voie de succès est d’abord collective et qu’il serait en certaine mesure aussi responsable du sort de son pays, lorsqu’il choisit de ne plus y penser, que l’homme politique qui n’a de cesse d’être, lui, à protéger ses avoirs volés en Suisse. Un Africain né après indépendances risque peu de se convaincre que tous les savoirs sont indispensables dans leur complémentarité, leur globalité à qui pense, certes à raison, que la tâche n’est pas sinécure en Afrique…

 

La saison sèche est aussi saison pendant laquelle les hommes paysans de chez moi ménagent dans la forêt, sans abattre les arbres comme pour un champ de semailles, des espaces qui accueilleront les jeunes pousses de bananiers. L’ombre et le soleil les mèneront à maturité plus lentement, et tout aussi sûrement que les semis portés à mûrir en trois mois.

 

C’est cette forêt que la lune boude toujours les nuits sans lune, parce qu’on la fendit de moitié ( qui donc, enfin ?), qui sait à ce point travailler à l’avenir des hommes et femmes qui l’habitent.

 

La réalité n’a pas la simplicité d’un conte que les étoiles racontent à leurs enfants et à leurs petits-enfants, afin de leur enseigner comment être plus belles les nuits obscures. Lune qu’elles envient, même ravalée par sa moitié, réduite des trois quarts.

 

Les hommes, eux, en ont gardé le dicton qui veut que la lune n’a pas toujours pleuré.

 

Ils ne s’accordent toujours pas sur le sens à lui donner.

 

 

Ada BESSOMO

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